Un point sur le statut juridique des acteurs des crypto-monnaies

Faisons le point sur le statut juridique des acteurs des activités liées aux crypto-monnaies. La loi PACTE du 22 mai 2019 a introduit les crypto-monnaies en droit français sous l’appellation d’ « actifs numériques ». Malheureusement, cette dénomination n’apporte toujours pas de définition précise.

Pour reprendre les termes de l’article L.54-10-1 du Code monétaire et financier, « Les actifs numériques comprennent :

  • Les jetons mentionnés à l’article L. 552-2, à l’exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l’article L. 211-1 et des bons de caisse mentionnés à l’article L.223-1 ;
  • Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement. »
Richard Caetano, CEO de la fintech parisienne Stratumn (Crédits : Stratumn)

Création d’un statut pour les fintech

La conséquence principale de ces définitions est la création d’un statut pour les fintech qui travaillent avec les actifs numériques. Elles sont regroupées sous l’appellation de « prestataires de services sur actifs numériques » (PSAN). Les prestations concernées sont listées par le Code monétaire et financier à l’article L.54-10-2, avec pour point commun qu’elles sont toutes réalisées pour le compte de tiers :

  • La conservation de crypto-monnaies
  • Crypto to fiat
  • Crypto to crypto
  • L’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques
  • La réception et la transmission d’ordres sur actifs numériques
  • La gestion de portefeuille d’actifs numériques
  • Le conseil en investissement
  • L’achat de cryptos pour revente
  • Le placement garanti d’actifs numériques
  • Le placement non garanti d’actifs numériques

Cette liste va jouer un rôle important pour savoir à quel régime sera soumise l’activité en tant qu’entrepreneur français ! En effet, en matière de crypto-monnaie, la loi distingue les « actifs numériques » et le reste, qui sera alors assimilé à des titres financiers.

Dans les actifs numériques, on retrouve les crypto-monnaies qui sont déjà sur le marché, qui peuvent être utilisées pour acheter, vendre, ou échanger des biens ou des services. Sont aussi concernés les utility token.

Dans la catégorie des titres financiers, est regroupé… tout le reste, c’est-à-dire tous les jetons ou crypto-monnaies qui représentent des droits politiques, des droits financiers ou qui sont liés à des obligations.

Ces définitions sont lacunaires et manquent de précision. Elles ne parviennent pas à représenter la diversité de natures des crypto-monnaies et la variété d’utilisations possibles. Le législateur français comme l’Union Européenne sont conscients de cette limite et continuent d’observer la pratique qui est la source de connaissances la plus pertinente.
Malgré tout, les éléments de définition apportés permettent de poser un cadre légal pour lancer une activité liée aux cryptos en France avec plus de sécurité.

Lancement d’une ICO en France : statut légal

Mis à part les utility token, les jetons entrent pour l’instant dans la catégorie des titres financiers. Pour émettre des jetons et les proposer au public, il n’est pas nécessaire de contacter les autorités françaises, mais un visa a été prévu par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour ceux qui le souhaiteraient. Ce visa représente une simple garantie que l’offre n’est pas un scam et que le projet est sérieux, comme un label. Les modalités pour obtenir ce visa sont regroupées dans le « DOC-2019-06 » disponible sur le site de l’AMF.

Exercer une activité de PSAN

Pour proposer une ou plusieurs des prestations listées plus haut en France en fournissant « des services […] de conservation et/ou d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal » (1) , il est nécessaire de s’enregistrer auprès de l’AMF. Elle procède à plusieurs vérifications qui vont concerner (2) :

  • La compétence et l’honorabilité nécessaires pour exercer l’activité,
  • La gestion saine et prudente de l’activité,
  • Un dispositif de contrôle interne permettant de prévenir les conflits d’intérêts et un système informatique résilient, conformément aux normes européennes en matière de lutte contre le blanchiment et le terrorisme.

Le premier critère se rapporte à la crédibilité des personnes qui présente le projet. Quant aux exigences de sécurité, de lutte contre le blanchiment et de prévention des conflits d’intérêt, il est judicieux de les confier à un avocat et des techniciens compétents pour répondre aux exigences des autorités, et s’épargner un refus d’enregistrement de la part de l’AMF ou des accidents ultérieurs dont les conséquences seraient dramatiques. À titre d’exemple, Smart contracts sur ETH, Wallet associé à la plateforme et séquestre additionnel si les fonds levés sont convertis en monnaie sont des précautions essentielles à prendre.

L’enregistrement effectué et l’avis conforme de l’AMF obtenu, il devient possible d’ouvrir et de gérer sa plateforme de négociation d’actifs numériques.

À cela, s’ajoute la possibilité d’obtenir un agrément facultatif de l’AMF, qui permet, comme pour les ICOs, de prouver la fiabilité de l’activité au public par un label.

En quoi la stratégie française est-elle pertinente ?

Après avoir eu une période d’hostilité face à l’essor des crypto-monnaies, l’AMF a pris conscience de la multiplication des innovations liées à l’utilisation de la technologie blockchain et des avantages que présentent les crypto-monnaies dans leur usage financier. La logique française est depuis axée sur l’accompagnement des acteurs et des projets plutôt que sur une réglementation agressive. L’objectif pour eux est double : faciliter l’innovation en France et créer un cadre juridique de confiance pour les utilisateurs. Dans le document de travail « Construire une stratégie numérique européenne dans les services financiers » de Janvier 2020 (3), l’AMF soutient que « la « tokénisation » de la finance est une tendance majeure, qui ne devrait pas être combattue mais plutôt soutenue par un cadre qui lui permette de se développer dans un environnement sécurisé ».
Après plusieurs considérations techniques qui font obstacle au développement de la tokénisation en France et en Europe de manière générale, l’AMF soutient la mise en place d’un « Digital Lab » européen.

Pierre Person, lors d’une convention, le 17 mars 2018. (Crédits : VINCENT ISORE / MAXPPP)

Ce bac à sable de l’innovation, s’il est adopté, permettra la levée des exigences européennes incompatibles avec l’environnement blockchain pour accompagner les projets et expérimenter les conséquences de l’insertion des crypto-monnaies dans la vie financière européenne. Si la Commission adopte le projet, l’ouverture des vannes durera trois ans et permettra, on l’espère, de voir des projets innovants aboutir en Europe, montrant qu’il faut s’affranchir du cadre législatif et réglementaire flou et pesant.

Liste des liens d’information pour construire un dossier d’enregistrement :
article D. 54-10-2 du code monétaire et financier ;
• instruction de l’AMF DOC-2019-23.

Conclusion

Aujourd’hui, la France a commencé à réglementer les crypto-monnaies et les activités qui s’y rapportent. Si le législateur a réagi tardivement au regard de l’essor fulgurant des actifs numériques pendant les dernières années, les règles adoptées semblent correspondre à la spécificité des activités liées au crypto-monnaies, en préférant l’accompagnement à l’endiguement . Désormais, il faudra observer l’utilisation de ces règles par les acteurs du secteur pour apprécier leur adéquation avec la pratique, et l’attractivité de telles réformes à l’échelle européenne.

  • (1) « Obtenir un agrément PSAN », 16 janvier 2020, amf-france.org, dernière consultation le 10 mars 2020
  • (2) Article L.54-10-3 à L.54-10-5 du Code monétaire et financier
  • (3) Document PDF

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